Christian Robert-Tissot est un peintre dans le travail duquel le mot fait image. Lorsque l'on pense à l'usage du langage dans l'art contemporain, ce sont les propositions des artistes conceptuels qui viennent immédiatement à l'esprit, détournant l’attention de la présence de l’objet au profit du processus cognitif. Robert-Tissot se positionne d'emblée très différemment, puisque dès ses débuts, il n'a eu de cesse de donner forme aux mots et à leur sens. Ses références artistiques se situent davantage dans des tendances de l'abstraction géométrique comme le Hard Edge et ses dérivés Néo Géo, dans les vibrations de l'op art ou dans les figurations artificielles du Pop Art, des démarches éloignées mais qui affirment toutes l'importance du visuel. Quant au choix du texte, il l'explique moins par un auto-référencement artistique, que par une esquive des questions traditionnelles de composition. Cela ne l'empêchera pas de consacrer tout un corpus de ses œuvres à la terminologie de la peinture. Il empruntera ensuite des termes au vocabulaire familier et populaire, écrit ou oral, s'appropriant également des lieux communs, des expressions, des titres ou des slogans de la culture de masse et marquant ainsi une distance avec l'histoire de l'art et le milieu artistique. Du point de vue formel, ses peintures anciennes se caractérisent par une simplicité géométrique rigoureuse, dans des tons francs au tracé précis. La couleur se diversifie ensuite et les lettres, moins bien détourées, s'assouplissent et se mettent parfois à baver. Le langage, qui semble alors prendre le pas sur la peinture, va également se déployer sur de nouveaux supports, parfois en trois dimensions : colonnes, affiches, stickers, enseignes, néons, murs intérieurs ou extérieurs, drapeaux. Christian Robert-Tissot investit alors l'espace urbain, comme le montrent deux installations pérennes à Genève : les pavés lumineux de la place du Molard, qui transcrivent dans différentes langues les mots échangés lorsque l'on se retrouve, et l'enseigne lumineuse installée sur le toit de la banque Lombard Odier, incluse dans le projet Neon Parallax de Plainpalais, où un grand " DIMANCHE" s'affirme en complet décalage avec la publicité. Dans un cas comme dans l'autre, la proposition artistique s'immisce dans la ville en détournant la signalétique urbaine.
Sans titre (Essay) est très représentatif du travail de Christian Robert-Tissot dans les années 1990. Le terme choisi renvoie à un travail de dissertation avec point de vue personnel. N'est-ce pas précisément ce que l'artiste fait avec la peinture ? La sévérité de la typographie et l'austérité du noir et blanc font converger la forme et le sens. Cette œuvre montre bien que si dans toute la pratique de Robert-Tissot voir c'est lire, il compose toujours avec la réalité matérielle de l'œuvre. L'adoption de l'anglais lui donne l'opportunité de pratiquer ici le Shaped Canvas. Et cette découpe diagonale du support, qui épouse l'extrémité du Y, indique clairement que la peinture n'est pas pour lui qu'une idée, mais aussi un objet physique. (DD-2018)