Nées dans les années 1980, Maria Guta et Lauren Huret ont toutes les deux grandi, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, à l'ère du développement des nouvelles technologies de communication (TV, minitel, VHS, CD, DVD). Elles ont été bercées par les mêmes références musicales et nourries par les mêmes fictions principalement issues de la culture américaine, avant d'expérimenter l'évolution fulgurante d'internet et de ses produits dérivés (chats, blogs, réseaux sociaux). Formée en design graphique à l’Université nationale d’art de Bucarest et au bénéfice d'un master en direction artistique à l’ECAL, Maria Guta s’intéresse principalement aux mécanismes de représentation de soi dans l’espace numérique qu'elle interroge à travers la vidéo, la performance et les médias sociaux. Lauren Huret fait ses études à l’École des Beaux-arts de Bordeaux et à la HEAD Genève. Son œuvre explore avec une approche critique les systèmes de croyance produits par nos dispositifs audiovisuels. Suite à leur rencontre aux États-Unis à la fin 2019, s'apercevant de leurs intérêts et parcours de vie similaires, les deux artistes décident de travailler en duo dès 2020, tout en poursuivant en parallèle leurs pratiques individuelles. Elles sont aujourd'hui toutes les deux établies en Suisse romande.
Lauren Huret et Maria Guta réalisent à quatre mains des performances vidéos et des installations qui reflètent leur fascination commune pour le nouveau statut tout puissant de l'image, l’hypermédiatisation de l’être humain et l'intronisation des célébrités au statut d'icônes à l'heure du partage de masse via les médias sociaux. Primée aux Swiss Art Awards à Bâle en 2023, la pièce Heads for Business and Bodies for Sin appartient à la série d'installations vidéos intitulée Les Portraits dans laquelle les artistes incarnent des duos de personnages féminins inspirés de blockbusters produits à Hollywood qui ont construit leurs identités. L'installation consiste ici en une impression photographique à échelle réelle d'une bibliothèque contenant une multitudes d'objets hétéroclites (écrans, appareils photos, téléphone, lecteurs, clavier informatique, classeurs, vinyles, cassettes VHS, talon aiguille, photographies, verre d'alcool et cendriers abandonnés), comme autant d'accessoires d'une scène de film. Ce décor quelque peu désuet accueille trois écrans bien réels qui diffusent en boucle des vidéos mettant en scène les artistes dans la peau de Business Women aux épaulettes et aux brushings impeccables, aussi fatales que pathétiques, évoluant dans un environnement bureautique suranné. Présentée dans la lucarne d'un vieux moniteur Mac, la dernière vidéo compile quant à elle des extraits de films hollywoodiens customisés par l'ajout de leurs propres visages sur ceux des protagonistes féminins via un logiciel nommé Re:face. Lauren Huret et Maria Guta y surjouent de façon presque grotesque le stéréotype fantasmé de la Power Woman fabriquée par la culture américaine des années 1990. Cette parodie ludique, dont le récit sous-titré apparaît finalement tragique – "when we are laughing, we are crying" –, dénonce le cliché tenace de la réussite féminine, aujourd'hui décuplé par l’incitation à la fétichisation de soi et à l’utilisation du capital érotique sur les réseaux sociaux. Le titre de l'œuvre soutient parfaitement le propos des artistes, en s'inspirant de la réplique mythique de l'ingénue Tess McGill (Mélanie Griffith) dans la comédie Working Girl (1988): "I have a head for business and a body for sin. Is there anything wrong with that?" (IK-2025)
